La variance n'est pas une excuse ( 2 )
LA VARIANCE INDIFFÉRENTE A NOS MALHEURS
Remettons les choses dans l’ordre : la variance, ce n’est que fluctuations dans un jeu de cartes. De même que la vie se fiche de nos petites exigences, la variance n’a cure de nos plaintes : les deux agissent, sans jugement, sans affect. A partir de ses fluctuations, nous créons notre propre histoire. Qu’il s’agisse d’une session, d’un tournoi, ou de l’ensemble de notre carrière. Nous alimentons les projections créées par le poker de notre propre énergie vitale, de nos émotions, et aussi, de nos illusions. Incapables d’échapper à nos histoires, nous pensons, systématiquement, que nous méritons ceci ou cela.
La réalité objective du poker est la suivante : il n’y a pas de bad run. Il n’y a pas de run. Il n’y a que la main en cours, c’est la seule réalité, totale. Et chaque main est indépendante de la précédente. C’est notre esprit qui connecte les mains les unes avec les autres, qui les raconte. Chaque coup peut potentiellement nous impacter pour tout un tas de raison et ainsi perturber notre vision (en premier lieu, perdre nous impacte). Si vous n’avez jamais vécu le fait de tilter au point de physiquement voir trouble, vous avez peut être observé cela chez d’autres.
La variance existe. Mais pas du tout comme on se le raconte. Plus précisément, c’est notre manière de l’appréhender qui crée une variance terrible dans états émotionnels. Les fluctuations dans le jeu sont énormes. Mais puisque nous les alimentons de nos émotions, puisque nous racontons des histoires, nous invitons en fait encore plus de fluctuations, et des spirales négatives de fluctuations en entrainant d’autres. C’est là que le bad run existe. Dans notre tête, il ne s’agit que d’une réalité subjective. Mais néanmoins puissante : inconsciemment, sans qu’on y pense, les fluctuations des cartes nous conduisent à entretenir un étrange jeu avec le jeu entre contrôle et non-contrôle. Nous savons que le jeu contient une large part de chance, que nos résultats ne dépendent que partiellement de nos actions. Nous ne pouvons échapper à nos ressentis, qui eux prennent la forme dialectique suivante : récompense/punition.
Évidemment, le jeu n’en a rien à faire de nous, il ne nous récompense ou ne nous punit jamais. N’échappant pas à nos ressentis, il se produit quelque chose de très étrange : suivant le mécanisme récompense/punition, le jeu crée aussi des états très variables de possession/dépossession. Quand on gagne, on a l’impression de tout posséder : les jetons, l’argent, l’âme de nos adversaire, la maitrise totale et imbattable. Quand on perd, c’est parfois comme si notre skill ne nous était d’aucun secours. Le jeu nous met dans des situations émotionnellement difficiles main après main. C’est là le sentiment de dépossession.
LA VARIANCE EST VARIANCE DANS NOS ÉTATS
C’est donc bien l’incompréhension de nos propres émotions qui nous empêche de comprendre ce monstre qu’est la variance. Notre capacité à prendre la meilleure décision dans la main en cours est variable. Parfois les cartes ne nous sont pas favorables. Mais beaucoup plus important, et pertinent, est la réalisation que notre jeu n’est pas toujours optimal. On a donc une fluctuation de cartes et une fluctuation de nos décisions. C’EST CA LA VARIANCE. Nous sommes des créatures fluctuantes, avec une forte tendance à l’identification, et aussi nous fluctuons à mesure que le monde fluctue autour de nous. Tout change tout le temps et il ne reste que le moment présent, à chaque instant. Ce qui est ici et maintenant.
On peut y voir une forte correspondance avec le bouddhisme en tant qu’enseignement : chacun de nous est né avec un corps, avec une histoire. Nous sommes conditionnés par les circonstances de notre vie, à réagir comme ceci ou comme cela. Se connaitre soi-même correspond d’abord à un mouvement d’observation : observe toi toi-même et vois à quoi tu réagis, et comment. A partir de là, on s’entraine à ne pas réagir à ce qui se présente : pensées, émotions, sensations. On ne supprime rien, simplement on observe et on ne réagit pas.
La variance c’est tout ce qui nous fait réagir dans le poker. En termes réels c’est ça la variance. Si je me prends un bat beat mais que je ne réagis pas, quelque part je n’ai pas de variance. De ce point de vue, et d’une façon un peu étrange, le poker peut paraitre comme un espace créateur de réactions : c’est un environnement haut en risques et en couleurs, c’est un environnement chargé d’adrénaline. Les fluctuations du jeu entrent en relation avec notre esprit affamé d’expériences extrêmes, entre les montagnes russes et les voitures qui roulent vite.
Dans le poker au fond, même les joueurs se plaignant de la variance, la chérissent, car ce qu’ils aiment dans ce jeu, c’est bien les émotions créées. Les up and downs, le poing serré quand on gagne, la queue entre les jambes quand on perd. Tout cela, c’est l’esprit humain qui le cherche. Dans le poker, une relation s’établit entre le joueur et le jeu, au point qu’on ne sait plus si le joueur joue le poker … ou si le poker joue le joueur.
Vue comme cela, la variance se révèle une opportunité impressionnante d’apprendre à connaitre son esprit, et l’Esprit de manière vaste. C’est ce que peut être le poker : une arène où nous nous défions nous même, où nous défions nos illusions, nos créations mentales. A mesure que le poker évolue, devient plus compétitif et difficile, autrement dit à mesure qu’il s’impose de plus en plus comme un sport mental, la compréhension juste et apaisée de la nature de la variance s’impose aussi comme un skiff décisif. Comprendre que la variance c’est d’abord nous qui la créons, par nos comportements ; comprendre aussi que blâmer la variance nous déresponsabilise ; cela nous ouvre la possibilité d’utiliser le jeu pour affiner notre résistance mentale. Car dès lors nous sommes conscients que le but du jeu, c’est bien de diminuer la variance (dans nos états, c'est-à-dire préserver une qualité de jeu aussi bonne que possible aussi souvent que possible). Mais seulement en l’embrassant totalement dans sa réalité structurelle.
La variance, on n’y échappe pas, de même qu’on n’échappe pas à soi-même. Il s’agit de faire avec.